Les élèves s’évaluent mutuellement

Porter un regard critique sur le travail d’un camarade de classe, c’est aussi accepter d’être critiqué par lui. Cette pratique lorsqu’elle est cadrée et constructive peut aider l’élève à mieux évaluer son travail, à porter un regard neuf et distancié sur ce qu’il a fait, à dissocier ce qu’il FAIT de ce qu’il EST.

Au début de l’année, les élèves rechignent à évaluer le travail oral de leurs camarades de classe car ils craignent « les représailles » lorsqu’ils pointent leurs « ratés ». Mais, au fur et à mesure des séances, quand le cadre est parfaitement bien défini par le professeur, les élèves apprennent à porter un regard critique constructif et je suis souvent étonnée par la justesse et la pertinence de leurs propos, et ce dès le primaire.

Sur mes vingt-deux ans de carrière, je garde en mémoire une ou deux instances où un élève n’a pas pu faire face à la critique de ses camarades et a dû quitter la classe pour ne pas entendre ce qu’ils avaient à dire sur son travail. Bien sûr,  je veille à définir au préalable les règles de manière très précise et les élèves jouent le jeu avec sérieux, retenue et respect de l’autre.

Comment les élèves apprennent-ils à s’évaluer mutuellement ?

Règle n°1 : ils commencent par relever les points positifs de la prestation orale de leurs camarades, quelle soit individuelle (présentation orale d’un livre, d’un film, d’une chanson engagée, d’un animal, d’une personne …) ou collective (débat, jeu de rôle, sketch, saynète, …). Puis, ils détaillent les points négatifs ou plutôt ce qui, selon eux, aurait contribué à une meilleure prestation.

Règle n°2 : le feed-back se fait en français dans les petites classes (primaire, 6ème, 5ème), mais j’impose l’anglais en 4ème section européenne et au lycée. J’ai noté que les élèves restent plus concentrés sur la tâche d’évaluation quand celle-ci s’effectue en langue étrangère. Ceci évite certains « dérapages » qui pourraient être interprétés comme un jugement sur l’élève, plutôt que sur son travail. Les débuts sont bien-sûr hésitants mais, au fil des séances,  les élèves acquièrent le lexique critique nécessaire pour commenter la prestation orale de leurs camarades en anglais. C’est une des raisons pour laquelle j’élabore mes grilles d’évaluation en anglais.

Règle n°3 : je reste en retrait pendant les échanges et je ne donne mon avis qu’à la fin. Soit je valide l’ensemble des points positifs ou négatifs relevés, soit j’y apporte un bémol. Je justifie alors mon point de vue personnel avec mes propres notes sur la prestation.

Règle n°4 : l’élève dont le travail oral est évalué écoute les échanges oraux. Il n’a le droit à la parole qu’après la synthèse effectuée par le professeur. Il est assis et fait face au groupe. Il peut ensuite  dire s’il est d’accord ou non avec ce qui a été dit. Il a alors l’occasion de clarifier ou justifier certains de ses choix.

Règle n°5 : en primaire et au collège, je note la prestation orale d’après la barème donné au préalable. Après les remarques positives ou négatives du groupe, je précise si je modifie cette note avec un malus ou un bonus ou si je la maintiens. Je justifie le changement de note en pointant la pertinence de certaines remarques faites par les élèves.

Règle n°6 : au lycée, je laisse les élèves gérer l’évaluation selon les critères établis  en commun et j’y ajoute mon appréciation personnelle sous forme d’une note globale sur 5 (critère : global achievement). Si la note orale comporte 5 critères différents, je demande à 5 élèves volontaires de prendre en charge chacun un critère d’évaluation. Ils doivent noter tout ce qui se rapporte à ce critère et pouvoir justifier chacune de leur remarque. En règle générale, les bons élèves se chargent des critères ayant trait à la  qualité de la langue  – lexique, grammaire, prononciation …etc. – ou à la qualité de l’argumentation alors que les élèves les plus faibles choisissent d’évaluer d’autres critères : effort de communication, aisance, créativité et inventivité, mise en scène, qualité du jeu …etc. Chacun se « spécialisant » selon ses compétences et les critères d’évaluation imposés par la tâche.

Règle n°7 : au lycée, je limite dans le temps la prise de parole des membres du jury pour qu’ils apprennent à être synthétiques. Quand je prépare mes séances d’oral, je minute le déroulé de la séance en prévoyant assez de temps pour la prise de parole ET l’évaluation. Je remets ce planning aux membres du jury avec l’ordre de passage établi pour optimiser le temps et éviter les « flottements » qui génèrent un stress inutile et préjudiciable pour les candidats évalués. En règle générale, les membres d’un même jury évaluent 3 à 4 élèves individuellement ou 2 groupes à la suite avant de donner leur feed-back.

Règle n°8 : au lycée, pendant que les membres du jury finalisent leurs appréciations et leurs notes, je rassemble autour de moi les candidats qui viennent de passer à l’oral et je leur demande de faire une auto-évaluation de leur prestation. Je me contente de les écouter et je ne fais aucun commentaire personnel à ce stade. J’ai remarqué que cette pratique aide les élèves à prendre du recul par rapport à leur travail. De cette façon, je les prépare à être plus à l’écoute des critiques, positives et négatives, des membres du jury.
Pour avoir travaillé ainsi de longues années, je suis convaincue que les élèves apprennent autant en évaluant leurs camarades qu’en passant eux-mêmes à l’oral. En se regardant et s’écoutant mutuellement, ils prennent conscience de leurs propres manques et des progrès qu’ils doivent faire pour communiquer de manière naturelle, authentique et convaincante. J’ai également noté que ces séances d’évaluation resserrent les liens entre les élèves : ils ont tremblé ensemble, ils ont surmonté leurs peurs ensemble, ils se sont félicités, ils sont restés solidaires les uns des autres. Ils se sont critiqués  mutuellement, certes, mais toujours dans l’idée que la critique quand elle est juste et constructive fait progresser l’autre. C’est précisément là que le professeur joue son rôle d’arbitre pour siffler tout dérapage et, le moment venu, il peut sanctionner avec un carton jaune ou rouge un membre du jury qui n’a pas suivi les règles du jeu. Très sincèrement, j’ai eu rarement à le faire.

Soyons-en convaincus : les élèves apprécient d’avoir à prendre en charge l’évaluation de leurs camarades quand le professeur leur explique ce sur quoi ils doivent porter leur attention. Ils interprètent cette responsabilité comme une marque de confiance de sa part et ils en abusent très rarement, contrairement à ce que l’on pourrait penser ! J’ai souvent constaté que les élèves sont beaucoup plus sévères et intransigeants que moi, et quand  vient mon tour de donner mon avis personnel, j’ai plus tendance à bonifier la prestation que le contraire.

 

Dans un prochain article, je vous expliquerai comment mes élèves évaluent mes cours. Une pratique que j’ai gardée de mes études universitaires aux Etats-Unis et qui me permet de progresser dans mon métier d’enseignante grâce aux regards croisés de mes élèves. En effet,  j’aborde chaque rentrée scolaire en gardant en mémoire ce sur quoi je dois porter mes efforts : mes bonnes résolutions pour la nouvelle année !!

 

 

Prochain article : sélection de poèmes à un niveau A1

 

 

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